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Un goût innoubliable.

Posted: 29 Jul 2005, 21:58
by Paradoxe
Le goût du sang.

Vient-on au monde avec le goût du sang ?
On peut se le demander pour certains ; on peut en être sûrs pour d'autres.
Je me pose la question pour moi...

Dans mon souvenir le plus ancien je me revois, âgée d'à peine 4 ou 5 ans, vivant avec ma famille dans un village isolé en pleine campagne, loin de tout tumulte, environné de bois et de champs... je me revois, essayant de me faire oublier des adultes, guettant le moment où enfin leur surveillance se relâcherait suffisamment pour que je puisse m'éclipser en douce hors du village, chose qui évidemment m'était proscrite.
Petit être de chair et de sang bravant l'interdit pour aller cueillir des fleurs pour maman.

Aujourd'hui que reste t-il de cette enfant ?
Je suis devenue être de cuir et d'acier et de mon horizon la verdure s'en est allée. Pour seul univers j'ai maintenant le néant dans lequel je me drape. Je rôde à l'abri des regards, en quête de sang. J'erre en silence au milieu des combats ; au pied des murailles sur lesquelles s'écrasent les boulets, j'évolue au sein de la masse des guerriers en sursis ; le bruit des épées qui tranchent les chairs, des os qui se brisent ne me parvient qu'à peine ; la fumée âcre des combats est mon alliée dans ma quête...
Je suis tendue vers ma proie, qui est là, quelque part, au sein de la masse... L'excitation du combat proche se fait plus précise et, à mesure qu'elle enfle, qu'elle monte en moi comme une marée, j'oublie un peu plus ma condition d'être humain...Et puis vient le moment tant attendu, celui où enfin j'atteins mon but. Ma cible est là, devant moi ; je ne l'ai jamais vu avant mais je sais que ce combattant ennemi est ma proie..... car il est isolé, ou distrait, ou affaibli, peu importe... déjà toute ma volonté se tend vers lui... ma concentration, poussée à son paroxysme, a déjà chassé de mon esprit tout ce qui n'est pas lui.
Plus rien de ce qui m'entoure n'existe, plus rien n'a de substance, plus rien de ce que j'ai été, de ce que j'ai connu n'est vrai ; ma proie est là, toute proche maintenant et devient pour quelques instants le seul et unique sens que je donne à ma vie... et puis vient l'explosion... comme un maelström de sentiments, un tourbillon de sensations, mélange de haine, de dégoût, de peur aussi, et de plaisir surtout, de jouissance même lorsque mes dagues pénètrent les chairs, insinuant le poison et la mort.
Et le regard que je plonge dans les yeux déjà presque éteints de ma victime devient encore un peu plus celui d'un animal, d'une bête qui, ayant goûté au sang, ne sait plus s'en passer. Très vite je me détourne et me replonge dans l'ombre, laissant gésir derrière moi encore une parcelle d'humanité, auprès de ce corps déjà froid ; le corps d'un albionnais qui, peut-être, il y a bien des années de cela, sortait en douce de son village pour aller cueillir des fleurs à sa mère.

Il m'arrive parfois de partir loin des champs de bataille ; à l'ombre d'un arbre séculaire je m'allonge alors dans l'herbe humide et parfumée et je laisse la petite fille que j'ai été, en d'autres temps et en d'autres lieux, s'emparer de moi. Déchirant la carapace de cuir elle verse alors quelques larmes trop longtemps retenues mais le sel de celles-ci sur mes lèvres ne suffit pas à ôter de ma bouche le goût du sang.


(MiniBG d'un de mes rerolls : Sacri.)